Seule dans le noir

Seule dans le noir

Editions Lamiroy, collection Opuscule

Parution : Vendredi 13 octobre 2017

ISBN : 978-2-87595-091-6

Prix : 4€ ( + 1€ en envoi postal)

Ils ont démoli la porte d’entrée. Une rafale de kalachnikov. Un bruit monstrueux qui l’a arrachée à son sommeil. Elle a entendu le bruit, mais plus que tout, elle a senti les balles percuter les murs. Ça a pénétré sa chair aussi sûrement que si elle avait été sa propre maison. Pendant quelques secondes, elle a communié avec la brique, a ressenti les impacts, sidérée par leur violence. Ils sont entrés.

 

« Quel bonheur de découvrir une nouvelle écrivaine ! Voici ci-dessous le texte paru sur le site littéraire « lire est un plaisir ». Il concerne essentiellement « Seule dans le noir », mais j’y fais allusion à « Bonobo Moussaka », que l’auteure a donné seule en scène.

Alors qu’il est question dans ce magnifique petit roman de rafales de kalachnikov, la lecture du livre « Seule dans le noir » peut se comparer à une rafale de phrases, de mots, de sensations. On la prend en plein cœur et on en sort tout étourdi, heureux d’être en vie. C’est rapide, terrible et efficace.

J’avais lu Bonobo Moussaka, le premier texte de théâtre de Adeline Dieudonné (dont Eric De Staercke explique dans la préface du livre paru chez Lamiroy* : « Le héros de cette histoire, c’est notre petite voix intérieure, une voix qui s’exprime sans concessions, sans entraves sans inhibition car elle est tout intérieure et que seul le lecteur peut l’entendre ») et j’avais été frappé par cette réflexion : « Elle se dit qu’elle est probablement un peu trop sentimentale. Ça vous perd toujours d’être sentimentale… »

On suit ici l’événement terrifiant qui arrive à Julianne, de l’intérieur, avec sa perception des choses. Tout ce qui vient à l’esprit dans un moment critique nous est livré :

« Elle se forçait à regarder au moins une émission didactique par semaine. Cela lui semblait le minimum vital pour ne pas sombrer complètement neuneu. Déjà qu’elle avait renoncé à lire. Trop silencieux. La télé lui donnait l’illusion d’une présence. »

J’ai adoré deux passages essentiels. Vous découvrirez le second en lisant le petit roman, – car ils sont écrits en parallèle, comme deux serre-livres – mais voici le premier, une merveille d’écriture et d’inspiration :

« Sa façon de voir le monde comme un jardin, avec des ronces, des orties, des jours de pluie et quelques lapins morts, c’est vrai, mais aussi avec de la lumière, une brise chaude au parfum de cannelle, des pivoines qui sentent le printemps, un petit ruisseau qui fait son bruit de petit ruisseau, un gazon doux sous les pieds nus, des fruits sucrés qu’on trouve un peu partout si on prend la peine de les chercher. »

J’aime aussi ces pensées que seule peut avoir une nouvelle génération qui découvre la réalité de l’existence :

« A peu de choses près, notre civilisation tient sur le respect des actes de propriété. Et des déclarations TVA. »

Un joyau de plus dans cette extraordinaire collection hebdomadaire d’Eric Lamiroy ! »

Jacques Mercier

Les 500 premiers mots :

Seule dans le noir. Un silence sauvage qui lui dévore les tympans.

Cette nuit, les voisins de Julianne sont morts. Tous.

Recroquevillée dans sa garde-robe, elle n’a pas bougé depuis trois heures. Ses genoux lui font mal. Elle a l’impression que les os de son bassin vont transpercer la chair de ses fesses. Elle devait faire pipi mais elle a capitulé et a accepté de se pisser dessus. Maintenant elle a froid. Elle pense au thermostat qui est réglé sur 10° pendant la nuit. Réflexe écolo de merde. Enfin, écolo c’est un prétexte si elle veut être tout à fait honnête avec elle-même.

Au fond de son placard, frigorifiée dans une flaque de pipi glacé, Julianne réalise qu’elle est radine. Une vieille fille de 38 ans pingre et amère.

C’est sans doute ce qui lui a sauvé la vie.

Sa maison est tellement froide et vide qu’ils ont dû penser qu’elle n’était pas habitée.

Ils ont démoli la porte d’entrée. Une rafale de kalachnikov. Un bruit monstrueux qui l’a arrachée à son sommeil. Elle a entendu le bruit, mais plus que tout, elle a senti les balles percuter les murs. Ça a pénétré sa chair aussi sûrement que si elle avait été sa propre maison. Pendant quelques secondes, elle a communié avec la brique, a ressenti les impacts, sidérée par leur violence.

Ils sont entrés.

Bidule a aboyé. Un jappement amical. Bidule c’est le plus mauvais chien de garde du monde. La scène s’est déroulée dans la tête de Julianne comme si elle l’avait vue de ses propres yeux. Le petit corps de cocker un peu obèse secoué par le balancement joyeux de sa queue. Dans ses yeux, les intrus ont dû lire quelque chose comme : « oh chouette, des visiteurs ! Vous êtes mes nouveaux amis ! Ma maîtresse va être contente de vous voir ! Je vous aime ! »

Une nouvelle rafale. Plus de Bidule.

Ils étaient trois ou quatre. Ou peut-être deux. Ou peut-être quarante, Julianne n’en a pas la moindre idée. Ils ont fureté sommairement. L’un d’entre eux est entré dans sa chambre. La démarche était énergique et assurée. La démarche de quelqu’un qui connaît son boulot. Il se tenait à quelques centimètres d’elle, juste devant la garde-robe. Une garde-robe qu’elle a héritée de sa grand-mère. En chêne foncé. Le genre de meuble qu’on offrait aux jeunes mariés. Avec le lit et les tables de chevet assortis. C’était avant Ikea.

Elle s’est félicitée d’avoir fait son lit avant de se cacher, elle a embrassé son poignet silencieusement. Une ruse. Ça lui est venu comme ça, elle ne sait pas pourquoi. Elle a entendu la kalachnikov, le jappement de Bidule, la kalachnikov, alors elle s’est levée pour se cacher puis elle a pensé qu’avec un lit chaud et défait, elle signait son arrêt de mort. Elle a fait son lit au carré, en cinq secondes. L’homme qui se tenait à quelques centimètres d’elle a dû penser que l’occupante des lieux dormait ailleurs cette nuit. Peut-être chez un amoureux. Ah ah ! Elle est bien bonne celle-là !

En tout cas, ça a marché.

Ils ont dit quelques mots dans une langue qu’elle ne connaissait pas, puis ils sont partis visiter d’autres maisons, tuer d’autres gens.

Elle se dit qu’elle ressemble à son intérieur.

Froide, vide et pas habitée.

Elle essaie de comprendre à quel moment sa réalité a basculé.