- « Bonobo Moussaka«
- Parution : 1 octobre 2017
- Auteur : Adeline Dieudonné
- Préface : Eric De Staercke
- Postface : Gaëtan Bayot
- Editeur : Lamiroy
- 53 pages
- 10,00 €
- Format : 135 x 185 mm
- ISBN : 978-2-87595-093-2
- EAN : 9782875950932
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Elle a mis deux enfants au monde.
Dans ce monde-ci.
Elle a mis deux enfants au monde et elle les emmène fêter Noël chez son cousin Martin.
Faisant tomber les masques civilisés des hôtes, elle nous révèle leur véritable nature, tantôt labrador, tantôt rottweiler…
Elle nous raconte aussi sa propre histoire, son adolescence et la révélation de sa condition de bonobo, sa mère nymphomane et son père amoureux comme un marin perdu.
Entre les cadavres des migrants sur les plages européennes, l’histoire qui radote et n’apprend rien, l’économie qui perd le nord, les couples et leur mécanique étrange, un canapé Château d’Ax et une souris lyophilisée, elle nous invite à écouter son monologue intérieur, acide et désabusé.
Elle ne se résigne pas.
Elle hurle, elle rit, elle chante mais elle ne se résigne pas.
Parce qu’elle a mis deux enfants au monde.
Ballade pour…
Il y a comme un réflexe de protection, de défense intellectuelle suivi d’un sourire ironique lorsque j’entends prononcer le prénom d’Adeline. C’est vrai, je le confesse quand j’entends ton prénom, je pense d’abord à « Ballade pour Adeline » de Richard Clayderman, soit un seau de cinquante litres de sirop, pas d’érable, non de sucre mélangé à de l’eau teintée de jaune que l’on fait passer pour du miel chez Meli. Ça colle et c’est indigeste…
Quand Adeline Dieudonné m’invite à lire « Bonobo Moussaka », j’ai donc peur, car dès les premières lignes, c’est inévitable, je suis assailli par le piano de Richard Clayderman, je dois résister, le combat est rude et je ne dois ma survie qu’à d’anciennes techniques d’esquives et de désenvoûtement apprises à la chorale du catéchisme paroissial.
Je vous rassure, cher lecteur, Adeline a une plume fine, tranchante et acérée propre à vous faire rapidement oublier Clayderman, d’ailleurs Adeline, je te remercie, ta pièce a à jamais relégué aux oubliettes cette mélodie sirupeuse et ton prénom rimera désormais avec les horreurs de notre quotidien que tu dévoiles avec la cruauté d’un cycliste aux abois tapotant sur le capot des automobiles qui l’enserrent rue de la Loi.
En fait, le héros de cette histoire, c’est notre petite voix intérieure, une voix qui s’exprime sans concessions, sans entraves, sans inhibition car elle est tout intérieure et que seul le lecteur peut l’entendre.
Adeline donne corps à cette voix qui parle à chacun de nous et sans dévoiler les pages qui suivent, elle observe et démonte les mécanismes des sociétés humaines qui se mettent en place autour de nous auxquels nous assistons impassiblement, parce que nous-mêmes plongés dans le désordre de nos vies.
Je me reconnais dans ces situations et j’aime cette voix, parce que tout comme elle, je regarde les humains grouiller autour de moi et courir vers je ne sais quoi, parce que la petite voix d’Adeline me sauve, parce qu’elle me donne de l’espoir et puis parce qu’elle rit de nous-mêmes.
Alors oui, « Bonobo Moussaka », c’est « Ballade pour Adeline » mais revue et corrigée par Bretécher, Reiser ou Sempé, ces artistes qui dépeignent l’absurdité et le grotesque de nos vies avec un trait si juste que l’on ne sait plus s’il s’agit d’une caricature ou d’un portrait.
A lire, en couple, en famille.
Eric De Staercke
L’aventure de Bonobo Moussaka, c’est une histoire d’alignement de planètes. Il y a très longtemps, bien avant qu’Adeline eut 33 ans et deux enfants merveilleux, j’avais été son premier coach d’impro. Depuis, nos chemins s’étaient peu croisés. Entre-temps, elle a bien grandi, beaucoup écrit et mené une belle vie dans ce monde-ci. En quelques jours, elle a accouché d’un curieux Bonobo Moussaka. Adeline cherchait un metteur en scène. Elle demande conseil à sa mère (la vraie, pas la nymphomane du texte) qui lui suggère mon nom. Deux heures après, alors que nous ne nous sommes plus vus depuis 15 ans, on se croise au parvis de Saint-Gilles. 3 heures plus tard, j’ai ce texte au titre énigmatique entre les mains. A minuit j’envoie un message à Adeline pour lui dire que j’embarque dans l’aventure.
Parce que ce texte m’a bouleversé. Le regard que cette fille porte sur notre société est dur et bienveillant, cynique et drôle, exigeant et maternel. Mettre en scène une histoire écrite par la comédienne qui va la jouer est un pari fascinant. Tout au long des répétitions, on lui tient la main pour ses premiers pas. Puis on enlève les petites roues du vélo et enfin on la regarde avec émotion se lancer dans la grande profondeur. En travaillant, nous avons décortiqué chaque mot pour leur donner du sens. Nous avons transformé le texte en spectacle. Ce seule en scène dense et drôle est particulièrement périlleux. Bonobo Moussaka ne comporte presque pas de dialogues et il fallait cependant faire vivre une douzaine de personnages. Ce n’est pas une mince affaire. Mais à cœur vaillant rien d’impossible.
Et tout est possible. Dans ce monde-ci.
Gaëtan Bayot
Les 500 premiers mots :
L’an dernier, j’ai eu 33 ans.
33 ans.
C’était en octobre.
Et j’ai ressenti un drôle de truc.
Un truc qui ressemblait un peu à de la tristesse.
Un peu à de la colère.
Un peu à du dégoût.
Un peu à de l’indignation.
Et beaucoup à de la honte.
Et beaucoup à de la peur.
Je sais pas, la perte de l’innocence.
Comme un petit caillou dans ma chaussure.
Au début je l’avais pas remarqué, puis ce petit caillou avait grandi.
Et maintenant il a tellement grandi qu’il prend toute la place, il me coince les orteils et m’empêche d’avancer.
Donc j’ai 33 ans et un gros caillou de tristesse-colère-dégoût-indignation-honte-peur qui m’empêche de marcher.
Et deux enfants.
Putain de merde j’ai deux enfants.
Vous vous êtes jamais dit ça vous ?
Merde j’ai mis deux enfants au monde.
Deux merveilles pures et innocentes, comme tous les enfants.
Je les ai mises au monde.
Dans ce monde-ci.
Deux enfants. Qui posent plein de questions.
Des questions rigolotes.
« Maman, est-ce que les poissons ont un cou ? »
Je sais pas. Demande à la petite souris.
Des questions qui mettent un peu mal à l’aise.
« Maman, c’est quoi ça ? »
Le « ça » en question se trouve dans le tiroir de ma table de nuit grand ouvert.
« Ça mon petit chou, c’est un jouet à papa et maman, on n’y touche pas.»
Et puis des questions qui font grandir ce caillou dans ma chaussure.
« Maman, pourquoi ils viennent pas en avion les réfugiés, comme ça ils arrêteraient de se noyer ? »
« Parce que mon chou, les chefs de l’Europe sont des chacals qui ont décidé qu’ils préféraient que ces gens meurent plutôt que de devoir les accueillir chez nous, alors ils ne les laissent pas monter dans les avions.
Et ces chacals, c’est nous qui les avons élus.
Ce qui fait de nous des chacals aussi.
Sauf toi mon trésor.
Tu ne votes pas encore.
Tu n’es pas encore un chacal.
Mais tu le deviendras un jour, comme nous tous. Vers tes 18 ans.»
« Ben alors il suffit de voter pour d’autres chefs. »
« Oui mon amour. »
Je crois que le moment où j’ai le plus senti ce caillou grandir, c’était à Noël.
J’étais invitée chez mon cousin Martin.
Martin vit avec sa femme Françoise et leurs trois filles, Alice, Candice et Bérénice dans une très jolie maison en banlieue.
Enfin, très jolie…
C’est drôle, elle correspond à la définition « très jolie maison en banlieue ».
Elle irait bien sur la plaquette de présentation de vente sur plans d’un nouveau lotissement.
Mais moi je la trouve triste. Mais triste…
Je sais pas expliquer pourquoi mais à chaque fois que je vois cette maison, j’ai un peu envie de la prendre dans mes bras et de pleurer avec elle.
Lui murmurer que c’est pas grave. Qu’elle est triste mais qu’il y a plein d’autres choses tristes dans ce monde, qu’elle n’est pas seule.
Chaque fois que je vois cette maison, je me dis que si je vivais dedans, il ne me faudrait pas trois jours pour me jeter par la fenêtre.
Ce qui serait un peu con, parce qu’elle n’a que deux étages.
Je sais pas pourquoi.