Avec son premier roman, La Vraie Vie, Adeline Dieudonné dresse le portrait implacable d’une famille écartelée entre le bien et le mal.
Il est toujours enthousiasmant, voire impressionnant, d’assister à l’émergence d’un écrivain. Mais rendons au royaume de Belgique ce qui lui appartient, la Fédération Wallonie-Bruxelles ayant déjà distingué cette comédienne de théâtre de 36 ans pour sa nouvelle Amarula, l’histoire piquante de l’amitié entre une jeune vendeuse de sextoys à domicile et son voisin, un veuf de 96 ans.
Adeline Dieudonné. (c) S. Remael/SDP
Pas de vibromasseur dans le premier roman de la Belge Adeline Dieudonné, La Vraie Vie, mais une chienne, quelques biquettes, des bêtes empaillées et une famille pas vraiment reluisante, entre un père aux passions grossières – la chasse aux animaux sauvages, la télé et le whisky – et une mère craintive, réduite à l’état d’amibe sous les coups de son mari, le tout dans le pavillon gris d’un lotissement tristoune.
La narratrice n’est autre que la petite fille de 10 ans de ce couple peu aimant, dont le seul rayon de soleil est le rire magique de son jeune frère, Gilles, 6 ans. Un rire qui s’éteint le jour où le marchand de glaces meurt devant eux, le visage transpercé par son siphon à crème Chantilly. Le temps s’accélère, les étés passent, l’état de Gilles se dégrade, bientôt habité par l’âme cruelle de la hyène naturalisée du père. Malgré les tentatives désespérées de sa soeur, surdouée en sciences et maths, qui cherche à remonter le temps, la vilaine vie s’ancre.
La fable se noircit, toujours plus, jusqu’à une cauchemardesque nuit d’horreur, admirable scène d’anthologie digne de La Nuit du chasseur. Candide mais aussi impétueuse, caustique et volontaire, la narratrice résiste : « Ma course devait me faire traverser la planète, passer dans un autre monde, ça n’avait aucune importance. Je n’étais pas une proie, putain. Jamais. »
Restent alors 70 pages d’éclatante angoisse et de pur plaisir. C’est peu dire que la nouvelliste Adeline Dieudonné a trouvé le souffle et la juste note pour faire vibrer le lecteur. Le verbe haut et la verve au bout de la plume, telle une fleurettiste chevronnée, la primo-romancière force le respect. Et a d’ores et déjà glané des nominations dans quatre prix littéraires de la rentrée. Des débuts aussi fracassants que ceux de son « aînée » Amélie Nothomb, en 1992, avec Hygiène de l’assassin. Il y a pire ascendance.
Marianne Payot – 20 août 2018 – L’express